L’IA est un terme sujet à débats, tout autant que le terme d’intelligence. Les deux termes ont la même racine dans l’évocation de l’intelligence, mais ce dernier terme en IA s’est vu perdre son sens purement humain, lorsque les recherches en mathématiques, neurosciences et psychologies ont rationalisé la notion d’intelligence.
Le terme d’IA est adopté officiellement dans les années 1960, après la conférence de Dartmouth où elle devient un champ de recherche et d’études scientifiques, entre les neurosciences et les mathématiques théoriques.
L’IA avait comme but premier d’aider les scientifiques à comprendre le fonctionnement du cerveau en modélisant des répliques mathématiques et théoriques du fonctionnement d’un neurone. Le terme d’« intelligence » fait tout d’abord référence au neurone organique, que l’on essaye de copier pour le comprendre. Comment un amas de neurones et quelques impulsions électriques peuvent donner un instinct de survie à un faon, une carte mentale de traque à un tigre, ou la capacité de mettre en relation la vitesse et le temps, à l’Homme ?
L’exercice de définir l’IA est une tâche complexe, tout autant que de théoriser l’intelligence, cependant nous pouvons nous raccrocher à une définition précise proposée par un groupe d’experts de l’Union européenne. Cette définition prévaudra dans ce mémoire, car, le signifié de la locution « intelligence artificielle » est tout à fait changeant en fonction du contexte culturel, économique, et des volontés politiques portées par les acteurs et développeurs de ces systèmes d’IA : « Les systèmes d’intelligence artificielle (IA) sont des systèmes logiciels (et éventuellement matériels) conçus par des êtres humains et qui, ayant reçu un objectif complexe, agissent dans le monde réel ou numérique en percevant leur environnement par l’acquisition de données, en interprétant les données structurées ou non structurées collectées, en appliquant un raisonnement aux connaissances, ou en traitant les informations dérivées de ces données et en décidant de la/des meilleure(s) action(s) à prendre pour atteindre l’objectif donné. Les systèmes d’IA peuvent soit utiliser des règles symboliques, soit apprendre un modèle numérique. Ils peuvent également adapter leur comportement en analysant la manière dont l’environnement est affecté par leurs actions antérieures. »
Cette définition est liée à la définition de l’intelligence proposée par Bergson en 1907 dans un contexte de fabrication industrielle : « L’intelligence est caractérisée par la puissance indéfinie de décomposer suivant n’importe quelle loi et de recomposer suivant n’importe quel système ». Pour Bergson, l’intelligence c’est le fait de trouver des règles applicables de façon efficace. Cette citation fait référence à l’intelligence dans la fabrication, et c’est ce qui nous intéresse dans cette notion. Ce qui est intéressant dans la première définition est l’incorporation du potentiel de décision d’action d’une IA. C’est là que le terme d’intelligence dans « intelligence artificielle » porte un sens similaire en neurosciences et en mathématiques. L’intelligence dans La Révolution de l’intelligence du Corps est intrinsèquement liée au pouvoir d’action sur le monde physique. L’IA ne pourrait donc être véritablement intelligente sans un accès au réel, sans y laisser une trace tangible : trace qui peut également passer par une sorte de communication. Prenons l’exemple d’un véhicule : voir l’IA comme un moteur sans roues n’aurait aucun sens. Bien que nous voyions dans ce mémoire quelques « moteurs » ou modèles d’IA, nous nous concentrerons sur les conséquences tangibles de ces moteurs et analyserons rapidement les vecteurs d’actions qui permettent lesdites conséquences.
L’IA donc, par son nom, vise l’imitation du fonctionnement et de l’utilisation d’un cerveau organique, pour reprendre mon exemple précédent : un système impliquant le moteur, mais aussi l’avancement d’un point A vers un point B, via les roues. Il s’agissait alors, depuis soixante ans, d’essayer de comprendre le fonctionnement cérébral humain, mais en 2021, l’humanité s’est dotée de milliers d’IAs et les utilisent pour diverses tâches quotidiennes ou plus exceptionnelles.
Le modèle anthropomorphique de l’IA n’est plus pertinent, car même si elle a pris un tournant majeur dans l’optimisation et l’automation, elle n’a, outre les études neurologiques, aucun intérêt à imiter les diverses réactions des hommes. Comme le souligne E. Dijkstra:
« The question of whether a computer can think is no more interesting than the question of whether a submarine can swim ».
Un autre point à clarifier ici est que l’IA est un outil, de la même nature qu’un marteau. Comme le soulignent Beatriz Colomina et Mark Wigley en paraphrasant André Leroi-Gourhan « The human hand is human because of what it makes, not what it is. » La pensée technologique et l’amélioration de l’outillage humain, autant dire le « design » est propre à l’Homme.
« The human becomes human in seeing itself in the things it makes or seeing its possibility in those things. So, the human doesn’t simply invent tools. Tools invent the human. »
Cela induit que connaître l’IA revient à comprendre des processus humains et technologiques qui sont liés à nos perceptions, d’humains, et de créateurs de technologies. Tenter de stopper le progrès de la technologie reviendrait à vouloir stopper le monde de se doter de rails au XIXe siècle. Apprendre à connaître l’IA, c’est commencer à avoir un pouvoir sur elle.
C’est alors que le designer peut décider d’amorcer cette action sur l’IA, en comprenant mieux cet outil et en le démocratisant au travers de sa pratique de design.
Cependant, le designer devrait appliquer un cheminement éthique et éclairé face à l’intelligence artificielle, qui est un médium particulièrement malléable. Quels sont les problèmes éthiques en intelligence artificielle ? Est-il éthique d’influencer les résultats d’une élection présidentielle en ciblant des potentiels votants et en les impliquant dans la campagne via des processus cognitifs renforcés par l’IA? Est-ce que la paternité d’un design est toujours garantie lorsque le designer utilise de l’IA ? Que risque-t-on à ne pas se saisir de l’ IA ? L’IA, et plus particulièrement l’apprentissage automatique, est un outil qui permet d’ajouter une grande puissance aux programmes de nos jours, mais l’utilisation et le développement d’outils et d’applications qui utilisent de l’IA sont souvent sujets à débats éthiques.
Comment le designer peut-il faire face à la révolution technologique de l’IA, et quels sont les enjeux qu’il doit prendre en compte pour amorcer sa réflexion sur le sujet ?